L'actualité de Neal Beggs est foison-nante. Elle témoigne d'un moment crucial dans ce travail parvenu à maturité et qui, à chaque exposition, élargit le spectre de ses possibles. À l'automne, l'excellent centre d'art Netwerk, à Alost (Belgique), lui consacrait une exposition personnelle marquée par deux pièces importantes. Sur le toit du bâtiment, en immenses lettres éclairées la nuit, cette phrase : « Belgium is not a road ». C'est ce que répondit le roi Albert 1er à l'empereur allemand Guillaume 11 qui, en 1914, souhaitait « emprunter » la Belgique pour pénétrer en France. On sait aussi que le roi Albert était féru d'alpinisme et que sa mort en montagne reste entourée de mystère. C'est également par le motif et la pratique de l'escalade que Neal Beggs est connu comme artiste.
La seconde œuvre était une nouvelle version de Surfacaction, qui consiste à escalader à l'horizontale les murs de l'espace, avec piolet et chaussures à pic, non comme performance publique mais à huisclos, comme étape dans l'élaboration de l'œuvre. L'élément nouveau, ici, consistait à se servir des marques laissées sur le mur, véritables petits cratères explosés, pour en élargir la forme par des tracés excentriques, jaunes, rouges et noirs, jusqu'à ce que le dessin vienne toucher l'expansion voisine. Les couleurs du drapeau belge, le frottement des zones territoriales avec épicentres violemment obtenus, tout cela conférait à cette pièce une dimension politique qui excède largement la question belge. Cette idée des formes centriguges, il l'a reprise d'une œuvre réalisée à la galerie Elisa Platteau (Bruxelles) où, selon la méme méthode, il élargissait l'expression « if Muhammad », autre manière de dire « La foi déplace les montagnes » et hommage à When Faith Moves Mountains de Francis Alÿs, autre Belge, autre arpenteur d'espaces. De performatif et métaphorique, le travail de Neal Beggs explore de plus en plus directement les occurrences du visible, comme si le geste même de grimper se révélait capable de produire non seulement du temps, mais aussi de l'espace rétinien, aux frontières fascinantes de la peinture.
Cette évolution se confirme clairement à Château-Gontier où, dans la nef romane et nue de la chapelle du Genêteil, il propose une unique installation : Lonesome in the Desert. C'est un immense panneau double face supporté par quatre poteaux fichés dans des bidons remplis de béton, émergeant de monticules de sable, le tout dans le sens de l'orientation de l'édifice, au milieu du vaisseau. Des centaines d'ampoules disposées selon la typographie hollywoodienne, une couleur par mot et aléatoirement réparties, foment un texte par face. D'unn côté, un extrait d'une lettre de saint Paul aux Corinthiens (« Si je n'ai pas l'amour je ne suis rien ») ; de l'autre, un morceau du fameux All you Need is Love de John Lennon ! Au-delà du gouffre temporel qui les sépare, les deux messages résonnent dans une étonnante proximité où cultures religieuse et pop composent les duex faces d'un même disque.
La tension entre l'esthétique glamour et l'austérité de l'architecture saisit le visiteur des l'entrée, moins sur le mode de la fascination que d'une certaine déstabilisation, résultat d'une difficulté à trouver le point de vue, tant physique que mental. C'est là la marque d'une œuvres extrémrmrnt complexe et exigeante, où se répercute sans cesse, et audelà des propres œuvres de Beggs portant ce titre, l'écho du déroutant Mont Analogue de René Daumal : lien subtil, visible ou suggéré, toujours intimement expérimenté, entre l'escalade et l'élévation.
Jean-Marc Huitorel
March 2009.